Haïti, la République dominicaine et Cuba dans la dynamique globale de l’Occident(suite) -Dr Sauveur Pierre Etienne

Haïti, la République dominicaine et Cuba dans la dynamique globale de l’Occident(suite) -Dr Sauveur Pierre Etienne


Cuba dans la dynamique globale de l’Occident : construction et formation de l’État postcolonial et post-occupation / fonctionnement de l’État plattiste, construction, formation, transformation et évolution de l’État post-amendement Platt

Contrairement à Haïti qui a dû s’engager à payer 150 millions de francs-or à la France pour obtenir tardivement de l’ancienne métropole la reconnaissance de son indépendance, Cuba ne sera pas écrasée sous le poids de l’indemnité de 400 millions de dollars réclamée par l’Espagne. Grands vainqueurs d’une ancienne puissance coloniale qui n’est que l’ombre d’elle-même, les États-Unis d’Amérique ignorent tout bonnement les revendications espagnoles. Mais les Cubains devront attendre quatre ans pour devenir un protectorat américain le 20 mai 1902, l’occupation américaine s’étant substituée à la colonisation espagnole. Le gouvernement militaire américain d’occupation, sous la direction du général John R. Brooke, s’attelle immédiatement à la reconstruction du pays complètement dévasté par  trois ans de guerre de libération nationale (1895-1898), à la revitalisation des appareils répressifs et administratifs et à la remise en état des infrastructures. Vaste programme qui implique nécessairement la relance de l’économie, le rétablissement du système sanitaire et éducationnel et la création d’emplois. Quand les élites politiques cubaines devront gérer l’île en 1902, elles trouveront donc un système d’impôts bien établi et un appareil judiciaire totalement réorganisé. L’occupant laisse des écoles privées et une université modernisée (l’Université de La Havane), de même que 3.000 écoles publiques bien équipées, accueillant 265.000 élèves et où travaillent des milliers d’enseignants[13]. D’autre part, Cuba est pourvue d’hôpitaux modernes et, forte du succès de la campagne d’éradication de la malaria en 1902, elle est en droit, à juste titre, de se prévaloir d’être  le pays tropical le plus avancé en matière de santé publique.

     En fait, l’État plattiste cubain post-occupation est un État vassal ne disposant d’aucun moyen de contrainte. La puissance tutélaire met en place une Garde rurale chargée de surveiller les plantations de canne et les usines sucrières. Quant à la sécurité intérieure du pays, elle s’en charge, conformément aux clauses de l’amendement Platt. L’ampleur de la pénétration de l’économie capitaliste et des investissements de capitaux américains durant les trois premières décennies du XXe siècle favorisera la naissance d’une bourgeoisie nationale et nationaliste durant la Première Guerre mondiale, l’élargissement des classes moyennes, l’extension de la classe ouvrière et la prolifération des organisations de la société civile. Mais la Grande Dépression des années 1930 et la politique non interventionniste de Franklin Delano Roosevelt plongeront Cuba dans une crise politique, économique et sociale qui conduira à la chute de la dictature de Gerardo Marchado et à l’effondrement de l’État vassal (l’État plattiste) en 1933-1934. Face à la mobilisation sociale intense, au gangstérisme et à l’usage de la violence par les organisations et partis politiques, tant de droite que de gauche, l’urgente nécessité de rétablir l’ordre public et la paix sociale se fait sentir dans l’île. L’entrée en scène du sergent-colonel Fulgencio Batista et de son armée change la donne : les activistes incontrôlables seront progressivement mis hors d’état de nuire ; les organisations syndicales disciplinées ; l’ardeur combative des classes populaires va se calmer. Moyennant le support des États-Unis d’Amérique, Batista assurera l’expansion et le renforcement des appareils répressifs et administratifs de l’État, et entreprendra la mise en œuvre des réformes modernisatrices favorisant la consolidation de la société civile. Sous la première présidence de Fulgencio Batista, c’est la relance économique et la prospérité à Cuba : les programmes de travaux publics se multiplient, l’État se bureaucratise, l’expansion et la modernisation de ses appareils répressifs et administratifs s’affermissent. Le retour de Batista au pouvoir par le coup d’État du 10 mars 1952 détruira l’image de bâtisseur d’État qu’il s’était créé de 1933 à 1940. Figure prépondérante et paradoxale de la scène politique cubaine de 1933 à 1958, Batista est à la fois l’architecte et le fossoyeur de l’État cubain post-amendement Platt.

     Le triomphe de la révolution castriste au début du mois de janvier 1959 amène à l’instauration d’un pouvoir nationaliste jouissant d’un immense soutien populaire et dominé par la personnalité d’un leader charismatique. Sous le régime castriste –particulièrement avec les mesures de réformes économique et sociale adoptées par le gouvernement et la nationalisation des moyens de production-, la construction et la formation de l’État s’opèrent de façon directement proportionnelle aux transformations politiques, économiques et sociales qui se produisent dans l’île. Le rapprochement avec l’Union soviétique et les autres pays du Bloc de l’Est, les actes de sabotage de l’opposition interne et la préparation d’invasions des exilés cubains installés en Floride ont pour effet d’exacerber le nationalisme révolutionnaire des dirigeants cubains. Ceux-ci s’arment en conséquence pour affronter les menaces internes et externes : la fusion entre la nation et la révolution et la nécessité de la consolider accélèrent et facilitent la centralisation du pouvoir, ce qui conduit à la suspension des libertés civiles et à l’élimination de l’opposition interne au nom de la sécurité nationale. Les 300.000 membres de la milice populaire, les 800.000 militants des Comités de défense de la Révolution (CDR), les 300.000[14] officiers et soldats des Forces armées révolutionnaires (FAR) et les multiples organisations de jeunes, de femmes, d’ouvriers et de paysans rendent l’État omniprésent, voire omniscient. Le fusionnement du Mouvement du 26 juillet, du Directoire des étudiants révolutionnaire (DRE) et du Parti socialiste populaire (PSP) dans les Organisations révolutionnaires intégrées (ORI) en 1961 s’inscrit dans cette même perspective. Après l’échec de l’invasion de la Playa Girón (baie des Cochons), l’expulsion de Cuba de l’OEA en janvier 1962 et la crise des missiles au mois d’octobre de la même année, le processus de centralisation du pouvoir s’accompagne de l’expansion et de la consolidation des appareils répressifs et administratifs de l’État. Son emprise croissante sur l’économie et la société s’avère alors plus qu’évidente.

     La création du nouveau Parti communiste de Cuba (PCC) en 1965, l’échec des stratégies économiques des années 1960 et l’alignement total de Cuba sur la position de l’URSS, suite à l’invasion de la Tchécoslovaquie, apportent un second souffle au régime castriste. Mais l’aide multiforme massive de l’URRSS a un coût : elle implique l’acceptation de l’hégémonie soviétique et une réorganisation en profondeur de la structure économique et de l’appareil étatique de l’île, sous sa direction. Aussi la Commission mixte de coopération oriente-t-elle Cuba vers davantage de bureaucratisation, d’institutionnalisation et de centralisation du pouvoir. Toutes les agences gouvernementales sont obligées d’établir systématiquement des procédures bureaucratiques formelles sous la supervision des techniciens soviétiques, en vue d’une utilisation efficace de l’aide de l’URSS et des autres pays du Bloc de l’Est. C’est le point de départ du processus de soviétisation des systèmes économique et politique cubains. Ainsi, l’aide économique et l’encadrement technique soviétiques s’intensifient. L’intégration de Cuba au CAEM en juillet 1972 lui procure une santé économique vigoureuse. La coopération des pays de l’Europe de l’Est mobilise des ressources énormes en faveur de l’État cubain, ce qui lui permet de les affecter librement au renforcement de ses capacités coercitive et administrative et de consolider son emprise sur l’économie et la société. Profitant de l’inexistence du secteur privé et de la société civile, l’Union soviétique travaille efficacement à la construction d’un État puissant et centralisé à Cuba. En forçant le régime castriste à se bureaucratiser et en augmentant démesurément ses capacités, elle consolide son hégémonie dans l’île et aide les autorités cubaines à étendre et à renforcer les structures d’un État total non socialisé. Grâce à sa robustesse, l’État cubain en arrive à se détacher complètement de la société, à la maîtriser et à la régenter totalement. Aussi réalise-t-il l’emboîtement complet de son territoire et exerce-t-il un contrôle systématique de toutes les sphères du procès sociétal : l’économie, l’éducation, la science et la technologie. La souveraineté interne et externe étant parfaitement assurée, cet État trop puissant pour son territoire et ses habitants doit se tourner vers l’extérieur pour se donner un prestige digne de son rang au-delà même de ses frontières caribéennes. Le leadership charismatique de Fidel Castro, l’institutionnalisation et la bureaucratisation du pouvoir durant la décennie 1970 et la solidité de l’État cubain expliquent la survie du  régime à la suite de l’effondrement du Bloc de l’Est, de l’implosion de l’Union soviétique en 1991 et de la situation économique désastreuse des années 1990.

Comparaison des expériences haïtienne, dominicaine et cubaine

Que nous enseigne l’histoire au sujet de la construction et de la formation de l’État en Haïti, en République dominicaine et à Cuba ? L’histoire nous apprend que les élites politiques xénophiles des deux derniers pays, conformément à leurs traditions coloniales, ont toujours cherché à se rapprocher des centres de pouvoir et du capitalisme occidentaux. Cette attitude les a portées à s’ouvrir aux étrangers et à considérer l’immigration comme un facteur positif de dynamisation de leurs structures politique, économique et sociale. En encourageant l’intégration des nouveaux arrivants à toutes les sphères du procès sociétal, elles leur donnent la confiance nécessaire pour les pousser à investir leurs capitaux et à mettre leur savoir-faire au service de leur pays d’adoption. L’ouverture aux immigrants provenant de pays d’un niveau de développement culturel, politique, économique, social et/ou technologique supérieur est un phénomène de première importance dans la construction et la formation de l’État dans les deux anciennes colonies espagnoles. Elle contribue à la diffusion de la science, de la technique et de nouvelles valeurs dans les sociétés d’accueil. L’introduction des innovations technologiques améliore la productivité, opère un changement de mentalités chez les élites locales qui les porte à penser en termes d’efficacité et de rentabilité. Cette dynamique conduit à l’intégration progressive de ces pays au système d’États concurrentiel et au système capitaliste mondial. Comme l’alliance entre l’État moderne et le capitalisme moderne explique la dynamique globale de l’Occident, elle se reproduit certes dans les deux anciennes colonies espagnoles, mais avec un très grand déphasage. La prise de La Havane par le corps expéditionnaire britannique en 1762 ouvre cette période charnière à Cuba. Elle sera renforcée par l’accession à l’indépendance des treize colonies américaines, entraînant la dépendance croissante de la grande île du marché des États-Unis d’Amérique. La République dominicaine connaîtra cette expérience tardivement, surtout pendant la première guerre d’indépendance cubaine (1868-1878).

Comme dans le cas de Cuba et plus d’un demi-siècle avant elle, Saint-Domingue/Haïti connaît ce phénomène à l’époque coloniale[15]. Ce qui faisait de la partie occidentale de l’île la colonie la plus prospère au XVIIIe siècle. La Révolution française de 1789 plonge Saint-Domingue dans une crise multidimensionnelle et l’échec du mouvement des planteurs blancs imprime une nouvelle trajectoire au processus de développement découlant de l’alliance entre l’État absolutiste et le capitalisme mercantile. La tournure des événements et les conditions d’accession d’Haïti à l’indépendance en 1804 provoquent sa non-intégration au système international émergent. L’interdiction du droit de propriété aux personnes de race blanche inscrite dans presque toutes les Constitutions haïtiennes d’avant 1915 prive le pays de toutes possibilités d’investissements de capitaux étrangers ainsi que des innovations technologiques issues de la révolution industrielle. Cuba sera la grande bénéficiaire du démantèlement de l’État colonial et de la destruction du capitalisme à Saint-Domingue/Haïti. Elle deviendra le premier producteur mondial de sucre dès la fin de la première moitié du XIXe siècle. Vu les rapports d’interdépendances entre le capital et la main-d’œuvre, les premiers contingents de travailleurs saisonniers haïtiens se retrouveront dans les plantations de canne à sucre à Cuba dès 1912[16]. Sous l’occupation américaine, le pays se transforme déjà en pourvoyeur de main-d’œuvre à bon marché des centrales sucrières cubaines et dominicaines. N’ayant pas su réorienter à son profit le cours des événements -en dépit de certaines opportunités-, le pays s’enfonce, à l’inverse de la République dominicaine et de Cuba, dans le processus d’involution rendant son présent méconnaissable au regard de son passé de colonie la plus prospère au XVIIIe siècle.

À la fin des années 1970 et dans les décennies 1980 et 1990, Haïti, la République dominicaine et Cuba subissent les retombées négatives de la récession économique mondiale. Mais les élites politiques dominicaines et cubaines parviennent à recomposer et à restructurer l’économie de leur pays. D’économie agro-exportatrice reposant principalement sur l’industrie sucrière, elles la transforment en économie de services basée sur l’industrie touristique et sur les zones franches dans le cas de la République dominicaine ; sur l’industrie touristique et l’exploitation des ressources minières dans celui de Cuba. La manière dont les deux anciennes colonies espagnoles ont résolu la crise énergétique qui les paralysait montre la qualité du leadership politique de leurs dirigeants, ainsi que leur niveau de développement institutionnel, technologique, économique et social. Le retour à l’utilisation de l’énergie animale à Cuba au début des années 1990 faisait craindre le pire. L’usage de plus de 400.000 bœufs et chevaux et la mise en circulation de près d’un million de bicyclettes fabriquées en Chine et à Cuba, en remplacement de plus de 2.000 autobus et de 50.0000 tracteurs qui ne pouvaient plus fonctionner par manque de carburant, soulignent l’ampleur du drame[17]. Aujourd’hui, Cuba produit 56% de l’énergie qu’elle consomme et le Venezuela lui fournit les 44% qui lui manquent. Elle est la troisième destination touristique de la Caraïbe, venant immédiatement après la République dominicaine et Porto Rico. Quant à Haïti, la crise énergétique et la dégradation environnementale menacent son existence même. Elle s’enfonce dans un gouffre qui a fragilisé les appareils répressifs et administratifs de l’État, déstructuré l’économie et la société. Avec le double effondrement de l’État fragile haïtien en 1994 et en 2004, l’impuissance des élites politiques locales et les réponses inappropriées de la communauté internationale, le pays agonise et constitue un objet de préoccupation majeure pour ses voisins de la Caraïbe.

Cuba dispose d’un État robuste, d’un cadre légal adéquat, d’importantes ressources minières, d’énormes réserves de pétrole et d’une main-d’œuvre hautement qualifiée et disciplinée. Le jour où le temps aura complètement cicatrisé la blessure profonde causée par la fin brutale de l’histoire d’amour entre les États-Unis d’Amérique et la grande île et que les deux pays se seront décidés à rétablir des relations normales, les firmes américaines se lanceront dans la bataille pour gagner une position hégémonique par rapport aux entreprises européennes et canadiennes. La République dominicaine sera la grande victime de cet événement qui se produira dans un proche avenir, puisque Cuba sera plus attrayante aux yeux des investisseurs américains. Il est vrai que la « somalisation » de la partie occidentale de l’île est difficilement concevable, du fait qu’il s’agit d’un pays situé dans l’hémisphère occidental, ignorant l’irrédentisme et ne disposant pas de tradition guerrière. Mais sans État, compte tenu du phénomène de transnationalisation du crime organisé et du terrorisme international, Haïti représente une menace potentielle pour ses voisins les plus proches de la Caraïbe et un danger réel pour la République dominicaine[18]. L’État faible dominicain, dont les structures sont déjà fragilisées par le narcotrafic, la criminalité  et la corruption[19], est incapable de contrôler la frontière de quelque 360 kilomètres de long qui sépare les deux pays. On peut toujours envisager de massacrer une bande d’affamés, mais nous ne sommes plus en 1937. Les conditions dans lesquelles vivent les travailleurs haïtiens rappellent étrangement l’esclavage, bien que la domesticité des enfants haïtiens en Haïti même ne soit en rien différente de cette forme barbare de l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais le vide étatique, l’institutionnalisation de l’économie criminelle en Haïti, avec tout ce que cela implique en termes de violence, et l’attrait qu’un tel contexte représente pour le terrorisme international et le crime organisé devraient faire frémir les élites politiques dominicaines et les investisseurs rationnels.

Cette perspective est d’autant plus sombre que les élites politiques haïtiennes ne se rendent même pas compte de la gravité de la situation et la communauté internationale, en ce qui la concerne, est en train de répéter les mêmes erreurs commises en 1994-2001. Elle dépense 800 millions de dollars annuellement en Haïti pour l’entretien des quelque 10.000 hommes de troupe composant sa force de stabilisation présente sur le terrain depuis mars 2004 et n’arrive toujours pas à rétablir l’ordre public et la paix sociale dans le pays. Elle ne dispose d’aucun plan de désarmement général et ne prévoit pas la reconstitution des appareils répressifs et administratifs de l’État : la mise sur pied d’une force de sécurité publique n’est même pas à l’ordre du jour. Avec plus d’un milliard de dollars d’aide et plus de 800 millions pour le maintien des troupes de la MINUSTAH, la communauté internationale pourrait réaliser beaucoup de choses en un an. Mais elle n’a aucun point d’appui local et n’envisage pas une occupation directe.

L’existence d’un État fragile en Haïti, d’un État faible mais fonctionnel en République dominicaine et d’un État total non socialisé à Cuba résulte des rapports d’interdépendances complexes et dynamiques entre politique, économie et société dans la longue durée. La capacité des élites politiques nationales à s’allier aux groupes d’intérêts locaux et aux groupes d’intérêts étrangers, la nature de l’héritage colonial, le mode d’intégration au système d’États concurrentiel et au système capitaliste mondial façonnent la construction et la formation progressives de cet appareil de domination qui s’appelle l’État. Au cours de leurs évolutions postcoloniales, pris en tenailles entre les tensions, crises et conflits internes, d’une part, et les pressions et agressions externes, de l’autre, les États haïtien, dominicain et cubain s’effondrent et/ou deviennent des protectorats américains. En fonction de la qualité du leadership politique national, du degré de complexification économique et sociale, ces États parviennent ou non, dans leurs variantes néopatrimoniale, néosultaniste, à s’autonomiser par rapport aux groupes d’intérêts locaux et étrangers, tout en renforçant la modernisation économique et l’intégration sociale (Trujillo et Batista I) ou en consolidant l’obscurantisme, l’archaïsme, l’arriération et l’exclusion des masses urbaines et rurales (Duvalier père et fils). La chute brutale ou non violente des régimes politiques correspondant à ces modèles d’État entraîne leur effondrement ou leur transformation, ainsi que la reconfiguration de leurs rapports avec l’économie et la société. D’où l’émergence d’un État total non socialisé à Cuba à partir de 1959, d’un État faible mais fonctionnel en République dominicaine vers 1966 et d’un État fragile en Haïti à la chute de la dictature des Duvalier en 1986. Cette typologie traduit la capacité des appareils de gestion politico-administratifs de chacun de ces trois États à avoir le contrôle total, raisonnable ou fictif de son espace territorial, à imposer ses référents et modes d’action ou de surveillance aux populations constituant sa société ou sa base matérielle d’existence[20]. Ces trois modèles expriment tour à tour le niveau de ressources humaines, économiques et techniques dont dispose l’appareil de domination pour accomplir sa mission fondamentale de garantir à la population le droit à la sécurité, à l’alimentation, à l’éducation et au logement. Ces trois configurations sont en outre conformes aux trajectoires historiques d’Haïti, de la République dominicaine et de Cuba. Mais l’État ne plane pas dans les airs[21]. Son organisation sera toujours conditionnée par les structures économique et sociale lui servant de fondements, ainsi que par son poids dans le système d’États concurrentiel et le système capitaliste mondial. Dans cette optique, toute nouvelle reconfiguration reflétera la nature du leadership politique national et la transformation des rapports entre politique, économie et société, sur les plans interne et externe.

Sauveur Pierre ÉTIENNE

Politiste, Ph. D.

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