Chère cousine ,
Avec un orgueil légitime, le chagrin dans l’âme , tout en empruntant les expressions de notre professeur Carl Brouard, je dis bien, oui Carl Brouard , je monte au créneau des drapeaux forts afin de m’adresser à toi. La peine est immense et la déception flagrante , pour nous tous sœurs et frères haïtiens qui avons lu ta lettre. Le tableau est sombre, la réalité est sordide. Tes questions nous embêtent, tes expressions nous guettent, mais hélas cousine, nos piètres choix nous ont enfin conduit à ce chemin minable et désespéré.
En guise d’édito, je te ferai le triste constat d’une situation alarmante causée par les pères avec la contribution complice de mes frères.
Cousine, chez nous en Haïti, l’éducation est bafouée, faisant place aux macabres histoires sexuelles. Comment te dire cousine , les artistes de la place remplacent les professeurs qui enseignent nos jeunes frères et nos enfants. Sous la menace de mes parents , mes jeunes sœurs et frères empruntent belliqueusement le chemin de l’école, sac au dos , mais en guise de cahiers , un second habit rempli leur valise. Chère sœur, en lieu et place des cours se dressent certaines fois des ébats sexuels, des bagarres ou des parties de cartes , des séances de photos ou la manifestation des réseaux sociaux. Les professeurs ne se présentent plus, leurs loyers ne sont pas encore payés, car ils ont passé le dernier trimestre sans recevoir un sous de l’État.
Mes frères mettent le raboday, mes sœurs dansent éperdument jusqu’à midi. Après tous ces ébats, ils se changent, s’en vont tous à une pièce c’est l’heure « du krèy ». Ce match tous contre tous se fait jusqu’à ce que les envies tarissent, faisant place au déguerpissement volontaire.
Le 21 septembre 2020, dans une lettre à mes grands frères de la diaspora haïtienne, j’ai tiré la sonnette d’alarme , mais hélas, mes cris ont été ignorés !
Oui , le passé d’Haïti a été illuminé par des figures emblématiques comme Jean Price Mars, Emile St Lot, Louis Joseph Janvier et plus récemment, Francois Manigat et sa femme Mirlande Manigat. Chez nous, de 1986 à nos jours, la situation empire. Nos choix ne font que nous conduire dans l’abîme profond au jour le jour. Aujourd’hui Haïti, mère de la liberté et des intellectuels sublimes, est dominée par la médiocrité extrême. En 2006, le professeur Manigat susmentionné a été battu au premier tour des urnes par un René Préval déjà président pendant 5 ans , sans réalisations majeures. Cinq ans plus tard, mes sœurs et frères ont tous déconné, ils ont propulsé le vulgaire chanteur misogyne Michel Martelly à la présidence. Il était adversaire immédiat de la professeure à l’université Mirlande Manigat.
Au terme d’une démarche marquée de probité et d’amour fou à la cause du pays , en 2018, j’ai cru avoir vu la sainte révolte contre la démagogie à la cause publique ,mais hélas cousine, la force de la corruption a encore triomphé. Depuis l’avenir du mouvement « tèt kale » ou « kale tèt pèp » la misère s’accroît; les prix des produits ont atteint un taux vertigineux que la faim a monté la garde chez presque tous. L’insécurité surtout le kidnapping appauvrit la classe moyenne qui résistait encore jusque-là.
Chère cousine, tu te lamentes de voir mes jeunes et grands frères , pour la plupart nées après 1986 étalant leur dignité sous les bottes des colons américains blancs qui nous crachent dessus, mais avec une peine sincère et absolue, je dois te dire que la majorité d’entre eux ont opté pour cela à travers leur choix. En 2010, la majorité d’eux scandaient dans les rues, « Martelly est le sauveur », en 2016 , toutes les classes confondues nous ont donné Jovenel Moïse face au professeur Sauveur Pierre Etienne , un parvenu, échoué dans la plupart de ses entreprises soit-disant ; ils étaient les propagandistes volontaires du mouvement « tèt kale » qui appauvrit tout un peuple , qui dilapide les fonds PetroCaribe sans même parler des fonds CIRH d’après 2010. Aujourd’hui nous tous ,sommes des victimes, victimes du système post 86 et du mauvais choix surtout des jeunes qui ont voté massivement en 2010. Voilà le milieu de désespoir que se lève et s’endort tout un peuple qui n’a d’autre rêve que de fuir le pays !
Du courage cousine , ne te tourmente plus; entre temps, moi je m’exile.
Salut !
Jean Ernstso Lamothe, citoyen haitien.